
Mission: illustrer un conte…
Illustrer un conte, n’est pas une demande habituelle. Surtout pour un conte inhabituel. Raison suffisante pour ma boite d’aquarelle, et manier les couleurs après avoir été inspiré par la lecture. Ce conte, Bernard et le Soleil, sera publié, bientôt, en décembre 2019 dans un nouveau magazine web : « les unspirés ». L’auteur est Nina Gougeon, bonne lecture…
Bernard et le Soleil
Bernard, comme tous les soirs, décida d’aller se coucher. En passant dans le salon, il caressa le Chat, éteignit les lumières et rejoignit sa chambre. Petite mais rangée, elle gagnait quelques centimètres avec les lignes horizontales du papier peint. Bernard était fier de son idée. Il retira ses pantoufles et les aligna soigneusement au pied du lit. Installé sous ses draps, il regarda par la fenêtre qui donnait sur le ciel. Ses yeux ronds tombèrent quelques instants dans les courbes de la lune. « Bonne nuit. » murmura-t-il. Bernard, heureux, s’endormit comme tous les soirs. Mais, notre petit Bernard, ne se doutait pas que cette nuit allait bouleverser son quotidien….
6h00. Il éteignit son réveil et prêt pour une nouvelle journée enfila ses pantoufles d’un geste assuré. Il aimait particulièrement ses pantoufles. Il les avait choisies fourrées à l’intérieur, bien plus chaudes pour l’hiver (mais surtout doux, ceci il ne se l’avouera jamais). Quoique Bernard entamait le printemps, il gardait ses chaussons d’hiver. Et oui, il se permettait des petites folies mais seulement de temps en temps.
Enfin, toujours est-il, que notre brave Bernard se mit en chemin pour la cuisine. Habitué au même geste, il ne remarqua pas tout de suite. Quelques tranches de pain, du beurre, de la confiture (à la fraise, elle lui rappelait sa sœur). Un bâillement pour réveiller les muscles du visage. Voilà, maintenant direction la salle de bain. Bernard alluma la lumière, il faisait bien sombre dans son petit appartement… A vivre avec le Chat, il en avait pris ses habitudes. C’est comme ça qu’il se retrouva à 6h32 en train de faire sa toilette de chat.
Une fois préparé, Bernard alla prendre le temps de s’installer dans son salon. Il prit place sur son canapé en velours. Il aimait particulièrement le bruit que faisait celui-ci quand il s’installait tout contre lui. Il empoigna son coussin rectangulaire vert et le posa, délicatement, sur ses genoux. Il croisa les bras et les lia sur ce dernier. C’est alors, qu’il se tourna les pouces. Il lui restait peu de temps avant le travail, mais assez pour regarder le journal de 7h00, comme tous les matins. Mais, ce matin-là, ce que Bernard apprit au journal lui tourna la tête. Nous pourrions dire même que cela lui renversa la tête
« Ce matin le soleil a décidé de ne pas se lever… » détonna la présentatrice.
Abasourdi par cette nouvelle Bernard fit une action tout à fait extraordinaire pour un Bernard : il tourna la tête vers la fenêtre. Le constat fût accablant : Nuit noire. D’ailleurs cette demoiselle vint doucement s’installer dans l’appartement de Bernard. Ses sombres rayons transpercèrent le petit cœur de Bernard. « Nuit noire ? » se questionna alors notre brave homme. « Mais alors où est passé la lune ? » Tant de questions existentielles venaient le bouleverser. C’est avec émoi qu’il plissa les yeux, encore sous le choc de sa découverte, à la recherche de Madame La Lune. La Nuit fût la seule rencontre que croisèrent ses deux yeux ronds, noirs et perdus comme l’horizon. Attention, à croire que Bernard se prit au jeu de la spontanéité : il retourna sa tête vers la télévision. La voix mielleuse, comme pour nous faire oublier la nouvelle, de la présentatrice aux cheveux d’or, comme pour nous rappeler le disparu, se projeta à nouveau dans la boite crânienne de Bernard.
« Ainsi, Le Soleil aurait été surpris en train de glisser des mots doux à la Lune d’Uranus. Mais, continua la douce voix, Uranus surprit les mots qui se perdirent en chemin sur sa ceinture…. Confus et rougis par la honte les mots se dévoilèrent à cette géante planète. Celle-ci, furieuse envoya un souffle glacial sur le Soleil qui n’eut le temps de parer cet assaut. Pris au piège dans une glace, il purge sa peine en attendant que celle répandu autour de lui s’efface à son tour. Notre chère Lune, profondément meurtrie, est, selon nos sources, un peu dans la lune. Depuis la nouvelle, de la tromperie du Soleil, elle ne tourne plus rond. »
C’était assez pour Bernard. Il pressa le bouton rouge de sa télécommande d’un geste incroyablement sûr. Il fut pris d’une foule de sentiments encore inconnus à ce jour par son cœur et son corps. L’injustice et la colère prédominèrent. Comment Le Soleil avait-il pu fauter ? Mais Bernard était un petit monsieur pragmatique. Ce qui l’inquiétait le plus, ce qui le chamboulait le plus, c’était de savoir comment il allait bien pouvoir passer le balai sans lumière. Car, notre ami Bernard était balayeur de profession. Diplômé d’Etat en 1995, il avait fait de son travail sa mission. Notre ami était un homme de conviction. Il répétait souvent que « Balayer c’est agir dans l’ombre pour la pureté du monde. » (Cette phrase lui était apparu dans un rêve et avait touché son cœur.) Mais, Bernard, se rendit compte que pour agir dans l’ombre il avait besoin de lumière…. Il avait besoin du Soleil.
Sans lui, pas de balai, et donc pas de Bernard. La disparition de l’astre causa à Bernard bien du souci. D’ailleurs, ce dernier, toujours assis sur son canapé de velours, se surprit en train d’amener son auriculaire à sa bouche. Heureusement, il réagit à temps : pile au moment où ses petites dents allaient se refermer sur son ongle écaillé, il revint à lui. Il faut savoir que tout petit, Bernard avait supporté le tic insupportable de son père. Le claque des dents se refermant sur les ongles était pour Bernard plus ignoble que de ne pas trouver ses chaussons au pied de son lit. C’est pour dire ! En tout cas, il ne se laisserait pas aller. C’était décidé il ne ferait pas comme son père face à l’imprévisible. Bernard allait agir ! La faute du soleil fit de Bernard : un Homme. Un peu chancelant, il partit en direction de sa destinée : retrouver le soleil.
La porte claqua derrière le pas décidé de notre brave Bernard. Le Chat eu tout juste le temps de se faufiler sans y laisser sa queue. Ce dernier, témoin de cette toute nouvelle agitation, décida de se mêler à l’aventure. C’est ainsi, que de bon matin se dressait un tableau sympathique dans les rues de la ville sans Soleil. Bernard, balai sous le coude et double nœud aux chaussures, suivi de son chat, déambulait sur le trottoir (Bernard avait l’esprit d’action pas de suicide). Dans la zone d’ombre entre deux lampadaires, le pas assuré de Bernard ne s’attendait pas à l’inattendu : son pied (gauche heureusement) s’écrasa dans une belle crotte encore fraîche d’un labrador. Peut-être était-ce Le Chat et le balai ou bien la nouvelle marque de confiture qu’il avait goûté au petit-déjeuner (celle qui lui rappelait sa sœur) mais Bernard sentit une vibration magique. A la couleur et à la forme de la crotte, l’intuition de Bernard savait qu’il devait maintenant emprunter la deuxième rue sur la droite. Heureux et confiant, il emprunta le chemin que le destin lui avait éclairé. De lampadaire en lampadaire, il suivait le fil de son existence. Soudain, Le Vent vint murmurer à son oreille :« tourne et entre par la petite porte sous la lumière ». Bernard, absolument pas surpris que Le Vent se mit à parler, se sentait de plus en plus au cœur d’une aventure. Il fit halte et tourna aussitôt. Que c’était bon pour un monsieur comme Bernard de se mettre à écouter la vie. Il croisa dans la ruelle une vielle dame aux paupières chargées de fard. On aurait dit un petit clown bossu. D’ailleurs, le visage de Bernard s’éclaira d’un délicat sourire.
Au centre de la ruelle de la ville sans Soleil se trouvait une pancarte rayonnante de mille feux. Le propriétaire avait dernièrement investi dans des illuminations et il ne le regrettait pas. Bernard sut tout de suite que c’était là. Toutefois, malgré son assurance, il devait se rendre à l’évidence : il n’avait aucune idée de ce qu’avait voulu dire Le Vent par «la petite porte ». Bernard se frotta le menton de l’index et du pouce, à la manière de ces penseurs Français ou de ces statues Grecques (il avait toujours voulu faire cela mais n’avait jamais eu de sujet de réflexion adéquat). Mais un Bernard reste un Bernard, celui-ci un peu perdu, décida d’épouser de ses fesses le trottoir et de commencer à se tourner les pouces. « Mais où est le soleil ? » se questionnait notre ami. Après quelques jours, la vielle dame fardée revint de sa course. On ne sait pas exactement pourquoi, peut être grâce à la manière dont Bernard avait lacé ses chaussures ou bien parce qu’elle aimait les chats, mais elle décida de s’asseoir à côté de notre ami. Elle posa sa main sur le joli jeu de pouce de Bernard et le couva du regard. Le Chat miaula. « Aie confiance » lâcha d’une voix étrangement masculine la vielle dame aux airs de clown. Bernard se demanda si la vielle dame n’avait pas un peu abusé de la cigarette au cours de sa vie… Mais, très vite, il reprit la situation au sérieux. Attaché à l’écho de cette voix, Bernard, pour la première fois, se laissa bercer. Les deux yeux bleutés, entourés d’un lourd rose, semblaient de plus en plus énormes pour notre héros. Il rapetissait à chaque souffle. « Aie confiance » se répétait-il. Il ferma les yeux pendant que le monde autour de lui s’écroulait. Bernard ne s’était jamais senti aussi vivant.
Quand il ouvrit les yeux, il remarqua également qu’il n’avait jamais été aussi petit. Bernard était microscopique. Il se mit à sautiller comme une puce avec un naturel épatant. Une voix s’exclama « Te voilà enfin ! Ça fait un moment que je t’attends, Le Soleil aussi d’ailleurs ! » C’était un petit bonhomme au ventre extraordinairement rond et à la salopette verte qui tapait du pied avec dans la main une ficelle qui tenait une montgolfière. Celle-ci était toute jaune, comme l’astre tant recherché. Bernard ne perdit pas un souffle et sauta dans la boule jaune. Le petit Homme vert le suivit et tous deux s’envolèrent. S’ensuit une longue attente silencieuse.
« Mais où est-il ? » perça la voix de Bernard.
« Tu ne le vois pas ? » s’étonna l’homme au ventre rond.
C’est alors que Bernard assista au premier lever du soleil : celui de son cœur.